L’édition 2025 du Work Trend Index de Microsoft décrit un bouleversement structurel dans les modes de travail, fondé sur une enquête mondiale menée auprès de 31 000 actifs et complétée par une analyse de données internes à Microsoft 365. L’étude met en lumière l’apparition d’un nouveau type d’organisation : l’entreprise sur la frontière technologique, la frontier firm, structurée autour de l’intelligence artificielle à la demande et de binômes humains-agents, capables de redéfinir à la fois la productivité, les compétences clés et son organisation.
De Bayer à Wells Fargo
Les frontier firms fonctionnent selon une logique en trois étapes. Dans un premier temps, chaque collaborateur est assisté par un agent d’IA pour gagner en efficacité. Ensuite, ces agents prennent en charge des tâches autonomes, opérant comme de véritables collègues numériques. Enfin, dans le modèle le plus avancé, les humains fixent les objectifs, tandis que les agents exécutent intégralement les processus, avec supervision ponctuelle. Cette architecture modifie profondément les responsabilités individuelles : chaque salarié devient ainsi « chef d’agents », chargé de coordonner un ou plusieurs assistants intelligents.
Ainsi, Bayer économise jusqu’à six heures par semaine pour ses chercheurs grâce à un agent R&D ; Estée Lauder consolide ses études consommateurs à l’aide d’un assistant d’analyse ; Dow a conçu un système d’optimisation logistique capable d’économiser plusieurs millions de dollars annuels ; la banque Wells Fargo traite l’essentiel des requêtes de ses clients aux centres d’appels par des agents. Ces cas illustrent l’émergence progressive d’un travail orchestré par l’IA, à des niveaux de complexité croissants.
Un changement imposé par un déficit croissant de capacité
L’IA résoud une situation paradoxale : 82 % des dirigeants estiment que la productivité doit croître, alors que 80 % des employés déclarent manquer de temps et d’énergie pour effectuer leurs tâches. Ce décalage, qualifié de « déficit de capacité », justifie le recours croissant aux agents d’IA, considérés par 82 % des décideurs comme un levier central pour absorber la charge de travail future. Ces agents permettent d’automatiser les opérations répétitives, de synthétiser l’information, d’accélérer la prise de décision, et de libérer du temps pour des tâches à plus forte valeur ajoutée.
La montée en puissance des agents reconfigure aussi la structure même des organisations. Le modèle classique en silos, fondé sur l’expertise fonctionnelle (RH, finance, marketing), cède la place à un modèle projet, baptisé « Work Chart ». Celui-ci privilégie la constitution d’équipes ad hoc, associant humains et agents selon les objectifs à atteindre, avec des compétences activées à la demande. Cette flexibilité, rendue possible par la disponibilité constante des agents et la réutilisation rapide du savoir, permet des boucles itératives plus rapides et une meilleure adaptation aux imprévus.
Le rapport insiste sur la nécessité de calibrer le bon ratio humain-agent, afin d’éviter une sous-exploitation technologique ou, à l’inverse, une surcharge cognitive et un effacement de la supervision humaine. Microsoft évoque un futur où ce ratio deviendra un indicateur clé de performance, comparable aux effectifs ou aux marges.
Des compétences à reconstruire
La généralisation des agents impose une montée en compétences transversale. Travailler avec l’IA ne relève plus de la simple utilisation d’outils, mais d’un nouveau type de collaboration : questionner, affiner, challenger, et savoir quand refuser une proposition automatisée. Pour l’instant, seuls 46 % des salariés considèrent l’IA comme un « partenaire de réflexion ». Les dirigeants, eux, sont nettement plus avancés : 67 % d’entre eux déclarent gagner plus d’une heure par jour grâce à l’IA, et 79 % estiment qu’elle accélère leur carrière. En comparaison, seuls 40 % des employés partagent ce constat.
Cette fracture pose un défi stratégique. Pour y remédier, 47 % des décideurs placent la formation en tête de leurs priorités RH pour les 12 à 18 mois à venir. Parallèlement, 32 % envisagent de recruter des spécialistes des agents d’IA pour concevoir et optimiser ces nouveaux workflows, et 35 % envisagent d’embaucher des formateurs spécialisés. L’émergence de départements « Intelligence Resources », analogues aux services IT ou RH, est aussi évoquée comme future fonction centrale dans l’entreprise.
Vers un changement de génération professionnelle
La transition ne concerne pas uniquement les experts ou les cadres. Le rapport souligne que 70 % des compétences utilisées aujourd’hui évolueront d’ici 2030. Dans certaines startups, des employés juniors pilotent déjà des campagnes complètes de marketing avec l’aide d’agents, sans supervision d’un directeur. Pour Microsoft, cette redistribution des tâches permettra à chacun de se positionner en « manager d’agents », quel que soit son niveau hiérarchique.
L’année 2025 marque donc, selon Microsoft, un tournant équivalent à l’émergence du web ou du mobile. Les signaux convergent : déploiement massif de l’IA, multiplication des cas d’usage sectoriels, et anticipation stratégique des entreprises les plus matures. Leur point commun : avoir intégré l’IA à l’échelle de l’organisation, formalisé son retour sur investissement, et fait évoluer leurs processus pour y inclure des agents dans toutes les fonctions. Pour toutes les autres, le défi est clair : ne pas rester à la traîne.
Pour en savoir plus :
- Work Trend Index Annual Report, Microsoft