Quand ChatGPT vote contre Bernard Arnault

Une IA à l’assemblée générale • Qant, M. de R. avec GPT-4o

Alors que l’audience de ChatGPT ne cesse de croître, un assistant basé sur ChatGPT a passé au crible les résolutions des assemblées générales du CAC 40 selon des critères ESG. Il recommande de voter contre le renouvellement du mandat de Bernard Arnault chez LVMH et, dans 87 % des cas, contre l’augmentation de la rémunération des dirigeants.

À l’occasion de la saison 2025 des assemblées générales, le cabinet Reputation Age a développé un assistant d’aide au vote fondé sur ChatGPT. Conçu pour les actionnaires individuels, l’outil — baptisé ESG Bro — propose une grille d’analyse des résolutions selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Un prompt qui reprend le profil de nombreux investisseurs

Le modèle a été entraîné sur les documents publics disponibles au 14 avril pour 37 entreprises du CAC 40 : convocations, rapports annuels, documents d’enregistrement, rapports de rémunération, plans climat et brochures relatives à l’actionnariat salarié. Trois entreprises — Accor, Bureau Veritas et Pernod Ricard — ont été écartées faute de publications disponibles à la date de l’étude.

L’assistant repose sur un prompt structuré : l’utilisateur est décrit comme un actionnaire individuel, orienté long terme, investi via un PEA et attentif aux engagements ESG. Cinq grands principes guident son action : refuser la concentration des pouvoirs, s’opposer aux rémunérations non alignées sur des critères extra-financiers, favoriser l’actionnariat salarié, valoriser les engagements climatiques chiffrés et refuser les émissions d’actions dilutives sans justification durable.

À partir de cette base, ESG Bro génère des recommandations résolution par résolution, accompagnées d’un raisonnement pédagogique. Il propose également des commentaires types à adresser au conseil et des questions à poser en AG.

Test grandeur nature

Le système a été appliqué aux résolutions ordinaires et extraordinaires des sociétés du CAC 40. Legrand et Airbus obtiennent 100 % de votes favorables. Axa s’en rapproche, avec une seule résolution désapprouvée. À l’inverse, Teleperformance concentre les critiques : l’outil recommande de voter contre ou de s’abstenir sur l’ensemble des résolutions, y compris l’approbation des comptes.

La question du dividende est régulièrement sanctionnée. Pour TotalEnergies, Michelin, Saint-Gobain et Teleperformance, ESG Bro recommande de voter contre, estimant que le niveau de distribution excède les capacités d’investissement nécessaires à la transition. Des abstentions sont également émises pour LVMH, Sanofi et Engie.

Rémunérations et gouvernance dans le viseur

Les résolutions sur les rémunérations de dirigeants sont les plus fréquemment rejetées : dans 87 % des cas, le modèle recommande de voter contre. Les motifs invoqués portent sur l’absence d’objectifs ESG clairs, le manque de transparence sur les critères d’attribution ou la part jugée insuffisante de l’extra-financier dans les variables de performance.

Les renouvellements d’administrateurs familiaux ou considérés comme non indépendants reçoivent également une large désapprobation : 90 % de votes contre. Le seuil de douze années de mandat est utilisé comme critère de perte d’indépendance, conformément au code Afep-Medef. Sont notamment visés les conseils de LVMH, L’Oréal ou Bouygues.

Une grille rigoureuse et cohérente

L’assistant se montre constant sur plusieurs points : il valide toutes les résolutions favorables à l’actionnariat salarié et approuve systématiquement les augmentations de capital réservées aux salariés. Il soutient les politiques de rémunération intégrant des critères climatiques dès lors que ceux-ci sont quantifiés et significatifs.

En revanche, il rejette 95 % des plans d’attribution gratuite d’actions qui ne sont pas conditionnés à la performance ESG. De nombreuses résolutions portant sur des émissions d’actions sans droit préférentiel reçoivent également un vote défavorable, sauf en cas de justification claire liée à la durabilité ou à l’intéressement.

Une évolution des pratiques de vote

L’expérience souligne la capacité des modèles de langage à produire des recommandations structurées sur la base d’un corpus documentaire complexe. Face à l’ampleur des documents diffusés pour les AG — souvent plusieurs centaines de pages — ESG Bro agit comme un filtre, appliquant une logique normative explicite à chaque résolution.

Cette automatisation permet aux actionnaires de documenter une position et de gagner du temps. Elle devrait donc stimuler une participation plus active à la gouvernance des entreprises. Le dispositif s’adresse en priorité aux investisseurs individuels, mais il peut également servir d’outil d’analyse pour des journalistes, des analystes ou des ONG.

Un enjeu stratégique pour les émetteurs

L’étude interroge aussi la stratégie de communication des entreprises cotées. À mesure que les modèles génératifs s’imposent dans les usages, la façon dont une entreprise est perçue ne dépend plus seulement de ses publications, mais de la manière dont ces documents sont traités par des systèmes d’analyse automatiques.

Les directions de la communication financière pourraient, à terme, déployer leurs propres assistants IA pour dialoguer avec les actionnaires et expliciter leurs choix. Dans ce contexte, la maîtrise du langage, de la transparence des indicateurs et de la structure des documents devient un levier d’influence.

Le rapport souligne enfin un risque : celui de la formation d’écosystèmes d’interprétation divergents, selon le paramétrage des modèles. Un même document pourra conduire à des lectures opposées selon les critères définis. Ce qui était jusqu’ici un débat d’interprétation entre analystes devient aussi un problème d’ingénierie de prompt.

L’essentiel