À quoi serviront vraiment les monnaies numériques ?

Quel rôle pour les monnaies numériques ? • Qant avec GPT-4o

Un rapport de la Fédération mondiale des bourses évalue les promesses et les limites des monnaies numériques pour les marchés financiers. Gain d’efficacité, traçabilité, risques juridiques et techniques : leur adoption soulève autant d’opportunités que de conditions.

Selon la Fédération mondiale des bourses (WFE), les monnaies numériques pourront devenir un maillon central de l’infrastructure des marchés financiers. Dans un rapport publié au début du mois, l’organisation, qui fédère plus de 250 bourses et chambres de compensation dans le monde, estime que ces monnaies faciliteront la tokenisation des actifs, en offrant un moyen de règlement natif des registres numériques distribués, mais adossé à une banque centrale.

La WFE rappelle que 94 % des banques centrales explorent aujourd’hui le sujet et que, selon le Forum économique mondial, 24 monnaies numériques pourraient être en circulation d’ici 2030. Leur intégration aux marchés permettrait notamment d’enrichir les écosystèmes numériques d’un actif de paiement à la fois sûr, traçable, et stable, à même de réduire certains risques de contrepartie et de faciliter les règlements transfrontaliers.

Paiements, collatéral, résilience

Contrairement à un dépôt bancaire, qui reste exposé à un risque de faillite, ou à une obligation souveraine, qui doit être convertie en cash, une monnaie numérique représente une créance directe sur une banque centrale, réglable en temps réel. Elle devrait donc s’imposer comme une garantie (“collatéral”) de qualité, facilement mobilisable, notamment dans les systèmes de règlement-livraison.

Elle peut également contribuer à renforcer la résilience des marchés en offrant un système de paiement alternatif, complémentaire des réseaux bancaires classiques. En cas d’interruption d’un réseau interbancaire, elle permettrait par exemple de garantir la continuité du règlement, y compris en dehors des heures d’ouverture habituelles des systèmes de paiement brut en temps réel (RTGS).

Gains de traçabilité et d’auditabilité

Adossée à une technologie de registre distribué, une monnaie numérique rend chaque transaction traçable et vérifiable. La WFE y voit un atout pour la surveillance des marchés : lutte contre la fraude, conformité réglementaire, détection des activités suspectes. À condition, toutefois, que les institutions financières disposent des compétences et des outils nécessaires pour lire les registres sous-jacents.

Cette capacité d’audit en continu pourrait alléger certaines obligations de reporting, réduire les coûts opérationnels et améliorer la qualité des données disponibles pour les régulateurs. Elle peut aussi renforcer l’intégrité des marchés dans des environnements où les investisseurs particuliers interagissent directement avec les bourses.

Des limites techniques persistantes

Le rapport souligne toutefois que les monnaies numériques ne sont pas aujourd’hui adaptées aux exigences de latence des marchés électroniques. Dans un environnement où chaque microseconde compte, les performances des technologies de registre distribué sont encore insuffisantes pour servir de support à des règlements de marché à grande échelle.

Par ailleurs, les avantages d’un système fonctionnant 24 heures sur 24 doivent être évalués à l’aune de leur utilité réelle : les périodes d’activité réduite représentent une faible part des volumes échangés, et il serait sans doute plus pertinent, suggère la WFE, d’étendre les horaires des systèmes RTGS existants plutôt que de créer une infrastructure parallèle.

Des bénéfices redondants avec le clearing

L’un des arguments avancés en faveur des monnaies numériques est la réduction du risque de défaillance d’une contrepartie grâce au règlement instantané. Mais la WFE rappelle que les systèmes de compensation centralisée remplissent déjà cette fonction, tout en offrant d’autres avantages : compensation multilatérale, réduction des besoins en collatéral, mutualisation des risques.

Autrement dit, les bénéfices attendus des monnaies numériques pourraient être en partie redondants avec les mécanismes de marché existants, plus éprouvés et mieux intégrés à l’architecture financière.

Interopérabilité et mise à l’échelle

La mise en œuvre d’une monnaie numérique exige en effet de surmonter plusieurs défis d’intégration. Elle devrait être interopérable avec les formes de monnaie existantes, fonctionner sur les systèmes nationaux et internationaux, et pouvoir cohabiter avec d’autres monnaies numériques émises dans des cadres juridiques différents.

L’adaptation des infrastructures existantes — systèmes de règlement, plateformes de négociation, interfaces de compensation — représenterait un investissement conséquent, complexe à réaliser, avec des risques d’interruption des opérations. Et sans usage massif, peu d’acteurs auront intérêt à moderniser leurs systèmes : un cercle vicieux que seule une coordination sectorielle pourrait rompre.

Un cadre juridique à adapter

Dans de nombreuses juridictions, les monnaies numériques ne sont pas encore reconnues comme des actifs de règlement. Les opérations transfrontalières posent un problème supplémentaire : faute d’harmonisation entre pays, les monnaies numériques pourraient générer des incertitudes juridiques et ralentir les règlements. Pour les petites entreprises, les exigences techniques et de conformité risquent aussi d’élever les barrières à l’entrée, consolidant le pouvoir de marché des acteurs les plus établis.

Un levier parmi d’autres

La WFE conclut que les monnaies numériques peuvent constituer un élément clé dans un écosystème tokenisé, mais que leur succès ne sera ni immédiat ni automatique. Elles ne transformeront pas à elles seules les marchés financiers, faute d’interopérabilité, de cadre juridique clair et de volonté collective d’adaptation technique. Il convient plutôt de les voir comme un levier, parmi d’autres, pour moderniser les marchés financiers, et non comme une solution universelle. Pour les bourses et les chambres de compensation, l’enjeu est moins de suivre une mode que d’évaluer précisément la valeur ajoutée de cette nouvelle forme de monnaie dans un paysage technologique déjà en mouvement.

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