Les décisions en matière de politique et de régulation sanitaires mobilisent des compétences variées, allant du raisonnement analytique à la délibération éthique. Face à l’irruption rapide de l’IA générative dans ces domaines, deux chercheuses de l’université Southern Cross (Australie) ont entrepris de comparer, sur une base documentaire, les attributs décisionnels propres à l’humain et à l’IA. Leurs résultats, issus de deux revues systématiques croisées, révèlent une répartition claire entre compétences spécifiques, points de convergence et risques potentiels.
Le corpus d’analyse repose sur 45 attributs humains et 20 attributs liés à l’IA générative, identifiés respectivement dans une revue de portée et une revue rapide de la littérature scientifique récente. Ces attributs sont classés selon leur unicité, leur influence (favorable, défavorable ou contextuelle) et leur articulation conceptuelle. L’objectif était de déterminer si les humains disposent encore d’un avantage dans la prise de décision, et sous quelles conditions une coopération ou une convergence entre humain et IA est envisageable.
Des forces différentes mais rarement exclusives
La majorité des attributs recensés sont jugés utiles à la décision : 58 % pour les humains, 70 % pour l’IA générative. Mais leur répartition révèle des différences fondamentales. L’humain se distingue par un ensemble de caractéristiques uniques favorables, absentes chez les IA, comme la compassion, la morale, l’intuition, l’humilité ou encore la capacité à raisonner dans un cadre interpersonnel et contextuel. Sur les 25 attributs strictement humains, 17 sont jugés bénéfiques à la qualité des décisions.
Les attributs qui influencent la prise de décision de l'IA générative dans les services de santé complexes, tels que rapportés dans la littérature. • Nandini Doreswamy et al.
Par contraste, l’IA générative excelle dans le traitement de données massives, la reconnaissance de structures, l’analyse logique ou l’accès à la mémoire. Trois de ses attributs sont considérés comme propres : l’attention (bénéfique), l’ambiguïté et les hallucinations (préjudiciables). Ces hallucinations désignent la production d’informations plausibles mais fausses, un biais dangereux dans un cadre de décisions sensibles comme la santé publique.
Certaines paires d’attributs forment des miroirs inversés. Par exemple, l’humain est capable d’éprouver de l’empathie, alors que l’IA en est dépourvue. L’IA bénéficie d’une mémoire infaillible, là où l’humain souffre de limites cognitives. D’autres attributs sont conceptuellement proches, comme la rationalité humaine et la capacité analytique de l’IA, ou encore l’expertise humaine et la capacité d’apprentissage automatique.
Vers une complémentarité organisée
L’analyse suggère que les attributs humains et ceux de l’IA sont globalement complémentaires. L’IA, rapide et exhaustive dans ses analyses, manque de sensibilité morale et sociale. L’humain, en revanche, contextualise, arbitre et interagit dans des environnements complexes. À long terme, c’est moins un affrontement qu’une coopération – voire une convergence – qui semble plausible entre ces deux types de décideurs.
Plusieurs domaines apparaissent comme des bastions humains. Les chercheuses soulignent l’avantage comparatif de l’humain dans la délibération éthique, les dynamiques de confiance, la compréhension des cadres politiques et culturels, ou encore la capacité à se remettre en question. Loin d’être de simples faiblesses à combler, ces dimensions constituent des atouts irremplaçables dans des contextes où les décisions impliquent des valeurs, des vies humaines et des arbitrages complexes.
Un cadre à construire pour la collaboration
Trois modèles de coexistence entre humain et IA sont envisagés : la compétition (dans des tâches purement analytiques), la coopération (dans la majorité des cas), ou la convergence (avec des contours encore indéfinis). Pour favoriser les deux derniers scénarios, les auteures recommandent un double effort.
D’un côté, les professionnels de la santé et les décideurs doivent renforcer leurs attributs humains distinctifs (empathie, jugement moral, adaptation contextuelle) tout en acquérant une culture technique permettant de dialoguer avec l’IA. De l’autre, les systèmes doivent intégrer les spécificités humaines dès la conception, en imposant des cadres éthiques, des explications compréhensibles et une supervision explicite.
À défaut, certains biais humains – persistance dans l’erreur, surcharge émotionnelle, rigidité – pourraient handicaper la prise de décision, tandis que les défauts de l’IA – comme les raisonnements fallacieux ou le manque de responsabilité – exposent à des dérives graves.
Une perspective non binaire sur l’avenir
Plutôt que de trancher entre remplacement ou résistance, cette comparaison plaide pour une approche mixte : un avenir dans lequel les humains conserveraient des rôles essentiels dans la décision en santé, à condition d’exploiter leurs forces propres et de co-construire des environnements compatibles avec celles de l’IA générative.
Pour en savoir plus :
- Nandini Doreswamy et al., A Comparison Between Human and Generative AI Decision-Making Attributes in Complex Health Services, Arxiv, 2025