Quelles opportunités l'IA générative va-t-elle apporter et apporte-t-elle déjà au monde de la finance, et à quels défis les institutions financières vont-elles devoir répondre ? C'est à cette question épineuse que les différents intervenants présents à l'évènement "L'IA et la finance" organisé par Qant fin avril ont tenté de répondre. Car les cas d'usage de l'IA générative dans le secteur financier sont déjà multiples à l'heure actuelle, comme l'explique Thomas Rocafull, partner chez SIA Partners. « Dans le domaine du KYC (connaissance client) et plus particulièrement côté corporate, il existe de nombreux cas d’usage pour améliorer l’efficacité opérationnelle dans un processus qui est très chronophage. L’IA est capable de dépouiller très rapidement les documents reçus par les banques, de capter les éléments importants et de les analyser.» Cela s’inscrit dans une tendance qu’on a vu apparaître au siècle dernier : les institutions financières ont été les premières à se saisir de l’intelligence artificielle, à la fin du siècle dernier, par le biais des systèmes experts. Mais l’apparition de l’IA générative correspond à un «saut quantique» dans ce chemin.
Ainsi, par exemple, le reporting extrafinancier prévu par la directive européenne CRSD, qui a pour objectif d'uniformiser les rapports de durabilité des entreprises. « Il va falloir calculer et produire environ 1200 indicateurs de développement durable» note Thomas Rocafull. Or, de nombreux éléments de reporting demandés par la directive CSRD sont déjà en possession des banques. «L’IA générative peut aider à aller plus vite en mobilisant une masse d’informations déjà existante. Entre 50 et 60% des indicateurs de CSRD peuvent être pré-remplis», estime Thomas Rocafull.
De la gestion d’actifs à l’assurance
Amundi, le principal gérants d’actifs européen avec environ 2 000 milliards d’euros sous gestion, s’est mobilisé dès le mois de janvier 2023. Après de nombreuses preuves de concept (POC), il a fait entrer en production les premiers cas d’usage. Par exemple, l’IA générative permet d’interroger le fonds documentaire du groupe et propose des traductions techniques de qualité supérieure. Elle peut aussi préparer des brouillons de réponse aux analystes interrogés par les services commerciaux. Dans une troisième application, l’IA analyse les prospectus visés par l’AMF – jusqu’à 900 pages pour un fonds – et suggère des modifications à la documentation commerciale. «L’IA générative va prendre la relève du numérique qui lui-même succédait à l’informatique» analyse Guillaume Lesage, chief operating officer d'Amundi : «L’industrie financière devrait ainsi pouvoir bénéficier d’une forte augmentation de la productivité dans des métiers comme la conformité, le marketing opérationnel, la relation client. Mais pour les métiers les plus sophistiqués, comme de définir la politique d’investissement d’un fonds ou sa stratégie marketing, il est difficile à ce stade d’imaginer une quelconque automatisation.» Amundi a aussi adapté sa nouvelle ligne métier, Amundi Technology, dirigée par Guillaume Lesage. Cette plateforme qui propose tous les logiciels nécessaires à l’asset management s’enrichit désormais d’Alto Studio, dédié à l’IA générative.
De son côté, le marketing d’AXA se sert de l’IA générative, par exemple, pour analyser quelque 400 spots TV de ses concurrents de par le monde. Mais les cas d’usage sont extrêmement multiples. Pour les unifier, l’assureur a choisi de se tourner vers une plateforme unifiée de RAG créée par une start-up française, AdaptivAI. La mise en place des outils d'IA générative demande en outre un travail rigoureux d'évaluation des risques de ces derniers, comme l'explique Gilles Rouvier, associé du cabinet Lawways : « Dans le cadre de l’AI Act européen, la première démarche à faire au sein des entreprises est d’identifier les outils d’IA, et d’évaluer le niveau de risque de ces outils. Il est nécessaire, dans le cadre de cette gouvernance de l’IA, d’établir une cartographie des outils d’IA et d’évaluer le risque de chacun d’eux. » De son côté, Thomas Rocafull abonde sur l'importance d'une sélection réfléchie des outils d'IA pour les acteurs financiers : « Il est important de définir des critères de sélection des projets IA entre amélioration de la relation client, diminution des coûts ou encore augmentation de la qualité. » Marc Pfeiffer, venu représenter Microsoft dans la discussion, insiste également sur l'importance du risque : « En tant que banquier, la seule question à se poser face à ces outils est celle de la gestion des risques des outils d’IA générative. »
Human in the loop
Une fois mis en place, le gain de temps permis par les outils d'IA générative laisse imaginer des processus entièrement automatisés. Pour autant, l'ensemble des intervenants s'accordent sur l'importance d'une présence humaine dans chaque cas d'usage de l'IA générative, et surtout d'une responsabilité humaine. « L’IA est un outil très utile pour la finance dans sa capacité à traiter de grands volumes de données. Mais il faut garder à l’esprit que ces outils doivent toujours être utilisés de façon raisonnée, et sous un contrôle humain. Il ne faut pas oublier que l’IA générative repose sur des statistiques et des probabilités » rappelle Gilles Rouvier.
Nicolas Letellier, Head of Insights chez Axa, confirme l'importance de cette responsabilité humaine : « Il y a toujours un contrôle par l’humain. Nos collaborateurs sont responsables de ce qu’ils produisent avec les outils d’IA. L’outil doit donner une réponse, mais il doit aussi donner sa source, pour que l’humain puisse vérifier que l’affirmation de l’IA n’est pas une hallucination ». Marc Pfeiffer rappelle d'ailleurs que les outils d'IA sont créés pour travailler de pair avec l'homme : « Nos solutions ne s’appellent pas Copilot par hasard. Par design, il y a toujours un humain pour contrôler, pour prendre la décision. »
Guillaume Lesage conclut en nuançant les craintes d'une IA qui remplacerait tout et tout le monde : « L’IA doit être vue comme une évolution, un outil qui permet aujourd’hui de faire des choses qu’on faisait hier sans outil. Cela va remplacer l’homme comme certaines fonctions, mais comme tout outil. (...) Aujourd’hui, l’IA est parfaitement incapable d’inventer. Le jour où elle aura une capacité d’invention, il faudra s’inquiéter. Aujourd’hui, elle ne fait que simplifier des choses que l’homme est déjà capable de faire ».
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