La communication directe entre le cerveau humain et les machines, longtemps reléguée au rayon de la science-fiction, constitue depuis plusieurs années un champ de recherche structuré, aux applications concrètes. Une récente étude menée par des chercheurs de l’université chinoise de Hong Kong à Shenzhen passe en revue les développements techniques majeurs en matière d’interfaces cerveau-machine (BCI), avec une focalisation sur les méthodes de captation des signaux cérébraux et les paradigmes d’interaction. Deux piliers qui, en interaction, conditionnent la performance de ces systèmes.
Encoder l’intention
Les paradigmes de BCI sont des protocoles expérimentaux permettant de détecter puis d’encoder les intentions de l’utilisateur dans des signaux cérébraux détectables. Trois paradigmes classiques dominent les systèmes non-invasifs actuels. Le premier, l’imagerie motrice (MI), repose sur l’activation cérébrale liée à l’imagination d’un mouvement. Cette activité se traduit par des modulations des rythmes mu et bêta enregistrables via électroencéphalographie (EEG). Utilisé notamment en rééducation neurologique, ce paradigme a été mis en œuvre dès 2005 pour piloter un fauteuil roulant électrique à partir de l’imagination du mouvement des membres.
Le second paradigme, dit P300, exploite une onde cérébrale apparaissant environ 300 millisecondes après la détection d’un stimulus pertinent parmi des stimuli fréquents. Cette réponse est utilisée pour la sélection de lettres ou de symboles dans des matrices visuelles. Sa robustesse et ses faibles exigences en termes d’apprentissage en font un outil privilégié dans les dispositifs de communication assistée.
Stimuli visuels et potentiels évoqués
Le troisième paradigme, dit des potentiels visuels stationnaires évoqués (SSVEP), s’appuie sur la réponse du cortex à des stimulations lumineuses à fréquence constante. En fixant une source clignotante, l’utilisateur induit une réponse cérébrale à la même fréquence, détectable par EEG. Au prix d’un inconfort visuel évident, ce paradigme présente un rapport signal/bruit élevé et un taux de transfert d’information important.
Au-delà de ces paradigmes classiques, de nouvelles approches hybrides sont à l’étude. Elles combinent différentes modalités (P300 et SSVEP, ou EEG et électromyographie par exemple) afin d’améliorer la précision du décodage et d’élargir le champ des commandes disponibles. Ces combinaisons visent à pallier les limites inhérentes à chaque modalité prise isolément.
Architecture typique d'un système d'interface cerveau-machine. • Yifan Wang et al.
Paradigmes actifs et passifs
L’étude distingue aussi les paradigmes dits "actifs", où l’utilisateur initie volontairement une action mentale, et les paradigmes "passifs", fondés sur la détection d’états cognitifs ou émotionnels involontaires comme l’attention, la fatigue ou la charge mentale. Ces derniers ouvrent la voie à des interfaces adaptatives, capables d’ajuster leur comportement en fonction de l’état de l’utilisateur, sans intervention consciente de sa part.
Par ailleurs, les paradigmes explorent désormais des modalités sensorielles moins conventionnelles, telles que l’audition, le toucher ou même l’olfaction. Bien que ces approches soient encore exploratoires, elles montrent la volonté des chercheurs d’étendre la palette des interactions possibles au-delà du canal visuel, sur-sollicité dans les paradigmes classiques.
Des méthodes d’acquisition selon trois catégories
La captation du signal cérébral, étape indispensable pour interpréter les intentions de l’utilisateur, repose sur des techniques réparties en trois grandes catégories : non-implantées, d’intervention, et implantées. Chacune présente un compromis entre précision, invasivité et complexité technique.
Les méthodes non-implantées, comme l’EEG, la magnétoencéphalographie (MEG), la spectroscopie proche infrarouge (FNIRS), ou l’IRM fonctionnelle (FMRI), enregistrent l’activité cérébrale sans intervention chirurgicale. L’EEG, méthode la plus courante, offre une excellente résolution temporelle mais souffre d’une faible résolution spatiale et d’une sensibilité au bruit. Des avancées sont en cours pour développer des électrodes sèches plus pratiques à utiliser.
Vers des capteurs intégrés au corps
Les méthodes d’intervention se situent à mi-chemin entre les approches externes et les techniques implantées. Parmi elles, les "Stentrodes" utilisent des électrodes intégrées à un stent inséré dans les sinus veineux cérébraux. Cette approche promet un compromis entre signal de qualité et moindre invasivité, bien qu’elle reste tributaire d’une intervention chirurgicale et d’un équipement médical complexe.
Enfin, les techniques implantées comme l’électrocorticographie (ECOG), les microélectrodes intracorticales ou les capteurs comme ceux de Neuralink, offrent une résolution spatiale et une fidélité supérieures. Elles permettent l’enregistrement de signaux profonds à haute fréquence, mais au prix d’une chirurgie lourde et de risques médicaux importants, notamment à long terme.
Un point majeur souligné par les auteurs est l’interdépendance entre paradigmes et méthodes de captation. Certaines techniques non-invasives se prêtent bien aux paradigmes classiques, mais l’innovation matérielle, en particulier dans les méthodes implantées ou interventionnelles, pousse à concevoir de nouveaux paradigmes adaptés à ces modalités de signal. Ce constat plaide pour une coconception des systèmes de BCI, intégrant dès l’amont les contraintes et possibilités des deux composantes — paradigmes cognitifs et capteurs neuronaux — afin d’optimiser la lisibilité des intentions cérébrales.
L’IA pour évoluer
L'intégration des BCI avec l'intelligence artificielle, notamment par l'application de techniques d'apprentissage profond pour le décodage des signaux, est également une voie prometteuse pour améliorer la précision et l'adaptabilité des systèmes.
Les algorithmes d'IA peuvent analyser de grands volumes de données neuronales pour identifier des modèles et faire des prédictions en temps réel, améliorant ainsi les performances des systèmes. Par exemple, des modèles d'apprentissage automatique peuvent être entraînés pour reconnaître des signatures neuronales spécifiques associées à différents états cognitifs ou intentions motrices, permettant un contrôle plus précis et réactif des applications BCI.
De plus, l'IA peut permettre aux systèmes de BCI de devenir plus intelligents et adaptatifs, offrant des expériences utilisateur personnalisées et améliorant la réactivité globale du système. Les algorithmes adaptatifs peuvent apprendre des interactions de l'utilisateur et s'ajuster aux schémas neuronaux individuels, rendant les BCI plus intuitifs et plus faciles à utiliser.
Enfin, l’étude souligne que cette synergie entre la BCI et l'IA peut également faciliter le développement de modèles prédictifs qui anticipent les besoins et les intentions de l'utilisateur, améliorant davantage l'expérience utilisateur.
Pour en savoir plus :
- Yifan Wang et al., A Review of Brain-Computer Interface Technologies: Signal Acquisition Methods and Interaction Paradigms, Arxiv, 2025