L’IA est au coeur du cri d’alarme de Mario Draghi pour l’Europe

"Mario Draghi pousse l'IA dans l'UE" (Qant, M. de R. avec Midjourney)

Le rapport sur la compétitivité européenne, dirigé par Mario Draghi, explore l'impact potentiel de l'intelligence artificielle sur la réindustrialisation de l'Union européenne. Il met en lumière les opportunités et défis que représente l'IA pour des secteurs clés comme l'énergie, la santé et les produits pharmaceutiques, tout en soulignant la nécessité d'une coordination accrue, d'un cadre réglementaire plus souple, et d'un soutien financier pour les entreprises innovantes.


L’Europe en pointe dans les énergies vertes, à la traîne dans le numérique (Source : Rapport Draghi)

Le rapport sur la compétitivité européenne, rédigé par Mario Draghi et publié le 9 septembre dernier, met en avant les enjeux liés à l'essor de l'intelligence artificielle en Europe. Bien que certains secteurs numériques, comme le cloud, soient déjà dominés par des entreprises non-européennes, il insiste sur le fait que l'IA donne l’occasion à l’Europe de reprendre position sur la scène technologique mondiale.

Depuis 2017, environ 70 % des modèles d'IA ont été développés aux États-Unis, et trois géants américains du cloud contrôlent plus de 65 % du marché mondial et européen. Néanmoins, le rapport souligne que l’Europe dispose encore d'atouts dans certains segments de l'IA, notamment dans la robotique autonome. Ce secteur représente 22 % de l’activité mondiale, une indication que l’UE a un rôle à jouer dans cette industrie. En outre, environ 17 % des services liés à l'IA sont basés en Europe, ce qui laisse penser qu'il est possible d'y consolider une position de leader.« Alors que le monde est à l'aube d'une révolution de l'IA, l'Europe ne peut pas se permettre de rester bloquée dans les « technologies et industries intermédiaires » du siècle dernier. Nous devons libérer notre potentiel d'innovation. Cela sera essentiel non seulement pour être à la pointe des nouvelles technologies, mais aussi pour intégrer l'IA dans nos industries existantes afin qu'elles puissent rester à l'avant-garde », explique le rapport.

Une nécessaire intégration verticale de l’IA

L'intégration verticale de l'IA dans les industries européennes, comme la pharmacie, l'énergie ou l'automobile, pourrait devenir un moteur essentiel pour accroître la productivité. Selon Draghi, cette transition numérique serait cruciale pour combler l’écart de productivité qui persiste entre l’Union européenne et les États-Unis, largement dû à la prédominance du secteur technologique outre-Atlantique. Il met cependant en garde contre les difficultés rencontrées par les entreprises européennes innovantes à obtenir des financements adéquats, ce qui freine leur développement et leur capacité à rivaliser à l’échelle mondiale.

Le rapport met également en lumière l'impact de l'IA sur l'emploi en Europe. Jusqu'à présent, l'automatisation a davantage amélioré les conditions de travail qu'elle n'a remplacé des emplois, et Draghi insiste sur l'importance de renforcer l’éducation et la formation continue pour maximiser les bénéfices de ces avancées technologiques.

L’IA pour la sobriété énergétique

Parmi les arguments en faveur d'une politique européenne proactive sur l'IA, Mario Draghi insiste dans son rapport sur la capacité de l'intelligence artificielle d'accélérer la transition énergétique de l'UE vers un système plus propre et décentralisé, tout en améliorant l'efficacité énergétique et la fiabilité des systèmes. Selon lui, l'IA peut aider à prévoir la production et la demande d'énergie, à optimiser l'intégration des énergies renouvelables et à améliorer la gestion des réseaux et des infrastructures énergétiques. Cependant, son déploiement présente des défis, notamment en termes de sécurité et de consommation d'énergie accrue. Les centres de données, nécessaires pour traiter les données liées à l'IA, devraient consommer une part croissante de l'électricité de l'UE. En outre, des obstacles comme la modernisation des infrastructures énergétiques, l'interopérabilité des données et le développement des compétences doivent être surmontés. Un cadre de soutien bien conçu est essentiel pour assurer une transition énergétique juste et inclusive, tout en garantissant que les technologies de l'IA bénéficient à tous.

Parmi les autres secteurs cités, la santé et des produits pharmaceutiques, notamment à travers des "produits combinés" qui intègrent des systèmes de délivrance de médicaments avec des algorithmes IA, permettant des thérapies plus précises et personnalisées. En 2022, l'UE a dépensé 2,6 milliards USD dans l'IA pour la santé, et ce montant devrait augmenter de plus de 40 % par an. L'IA est déjà utilisée pour améliorer le diagnostic médical, découvrir de nouveaux médicaments plus rapidement, et personnaliser les thérapies en analysant les données des patients.

Un besoin de coordination

Draghi propose plusieurs pistes pour accélérer l'innovation dans le domaine de l'IA en Europe. Il recommande de promouvoir une plus grande coordination entre les industries pour favoriser le partage de données et de renforcer l'accès des start-up aux capacités de calcul à haute performance, notamment via l'utilisation des superordinateurs européens. Ces mesures visent à soutenir le développement de nouvelles applications d'IA tout en intégrant davantage les petites et moyennes entreprises (PME) innovantes dans cet écosystème.

Le rapport appelle également à une réévaluation des politiques de concurrence pour permettre une consolidation dans certains secteurs stratégiques, comme celui des télécommunications, afin de soutenir les investissements nécessaires à l'innovation. Cependant, cette approche pourrait être controversée, car certaines voix estiment que la concentration du marché risque d’affaiblir la concurrence.

Assouplir la réglementation

Enfin, Draghi insiste sur l’importance d’un cadre réglementaire adapté à l’IA. Bien que l'Union européenne ait adopté une approche précautionneuse dans ce domaine, il souligne que certaines réglementations, comme celles de l'AI Act, pourraient freiner l'innovation. Il propose donc un allègement des contraintes pour les entreprises innovantes, notamment via des "bacs à sable réglementaires" permettant de tester et d’ajuster les lois en fonction des avancées technologiques.

L’intelligence artificielle est perçue comme une opportunité pour l'Europe de rattraper son retard dans le domaine numérique. Toutefois, le succès de cette stratégie dépendra de la capacité de l’Union européenne à simplifier ses cadres réglementaires et à mobiliser des financements, tant publics que privés, pour soutenir les entreprises dans ce domaine clé. Le rapport de Draghi servira de base aux prochaines initiatives de la Commission européenne pour renforcer la compétitivité de l'UE à l'échelle mondiale.

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