Le recours aux robots interactifs dans l’accompagnement de la santé mentale progresse. Une étude interdisciplinaire menée par l’université de Cambridge montre qu’un robot conversationnel, intégré au quotidien des étudiants, peut contribuer à une meilleure gestion des émotions. Sur cinq séances réparties sur deux semaines, les participants ont exprimé davantage leurs ressentis et ils ont significativement renforcé leurs capacités à reformuler cognitivement des expériences émotionnelles difficiles.
L’intervention, autonome et répétée, permet un soutien émotionnel régulier, structuré, mais non médicalisé. La collecte conjointe de données verbales, faciales et textuelles ouvre également des perspectives méthodologiques pour mesurer en continu l’engagement émotionnel des utilisateurs. Ce type d’analyse pourrait, à terme, permettre d’adapter les réponses du robot à l’état émotionnel observé, et de personnaliser davantage l’intervention?
Un dispositif intégré aux routines étudiantes
L’expérience a réuni 21 étudiants, répartis en deux groupes : l’un vivant en résidence universitaire, l’autre rattaché à un département académique. Tous ont participé à cinq séances de conversation avec un robot humanoïde, QTrobot, équipé de GPT-3.5. Ces séances se déroulaient dans des lieux familiers — salon commun, salle d’étude — et s’articulaient autour de thèmes du modèle Perma (Émotions positives, Engagement, Relations, Sens, Réalisations), issu de la psychologie positive.
Chaque session comprenait des questions formulées par le robot, d’abord à tonalité positive, puis à tonalité négative, pour inviter l’étudiant à évoquer un souvenir difficile. À partir de ses réponses, le robot reformulait et proposait une relecture plus nuancée, en s’appuyant sur les éléments positifs évoqués plus tôt. L’objectif : guider l’utilisateur vers une reconsidération cognitive de l’événement.
Renforcement des capacités de régulation
L’étude met en évidence une amélioration marquée des capacités d’auto-régulation émotionnelle. La compréhension des situations émotionnelles a progressé de manière significative au fil des séances (β = 0,30, p < 0,001 - ce qui signifie que, pour chaque séance supplémentaire, le score moyen de compréhension émotionnelle des participants a augmenté de 0,30 point sur l’échelle utilisée, avec une probabilité inférieure à 0,1 % que cet effet soit dû au hasard), tout comme le sentiment de contrôle sur ses réactions (β = 0,24, p < 0,001). Les témoignages recueillis soulignent le rôle structurant du robot : certains participants évoquent une introspection facilitée, d’autres une aide pour verbaliser des émotions évitées jusque-là.
Plusieurs participants ont salué la manière dont le robot posait des questions qui les incitaient à approfondir, sans pour autant se montrer intrusif. Certains ont même comparé cette interaction à un “point de vue extérieur” sur leurs problèmes, qui les aidait à adopter une perspective différente.
Adoption accrue des stratégies cognitives
Sur le plan des stratégies de régulation émotionnelle, l’intervention a permis un renforcement significatif des approches dites constructives. L’acceptation (β = 0,13), la réévaluation positive (β = 0,14), la prise de recul (β = 0,15) et le recentrage positif (β = 0,12) ont tous progressé de manière significative entre le début et la fin du programme. À l’inverse, aucune évolution notable n’a été observée concernant les stratégies dites inadaptées, comme la rumination, l’auto-accusation ou la dramatisation. Cela suggère que le robot facilite la mise en œuvre de techniques bénéfiques, sans renforcer les mécanismes délétères.
Expression émotionnelle en hausse
Le flux d’interaction. • Guy Laban et al.
L’analyse linguistique des échanges montre une nette augmentation de la durée de parole des participants (β = 3,30 secondes supplémentaires par séance), ainsi qu’une utilisation accrue de qualificatifs émotionnels. Les étudiants ont donc parlé plus longtemps et de manière plus riche au fil des séances.
Les mesures comportementales, fondées sur l’analyse vidéo, révèlent par ailleurs une élévation significative du niveau d’activation émotionnelle du visage (β = 0,03 par session). En parallèle, la valence émotionnelle — c’est-à-dire le caractère agréable ou désagréable exprimé facialement — tend à diminuer légèrement, reflétant les émotions négatives évoquées durant les exercices de réévaluation. Ce schéma, observé dans les phases critiques de la séance, indique une implication émotionnelle sincère et profonde.
Un effet tangible sur l’état émotionnel
À l’issue de chaque séance, les participants ont évalué leur humeur et leur ressenti émotionnel. Les résultats indiquent une amélioration immédiate et significative de l’humeur (β = 0,59, p < 0,001) et une hausse du sentiment global positif (β = 0,16). L’intensité de l’effet reste stable d’une session à l’autre, sans progression cumulée. L’espoir, mesuré indépendamment, a progressé de manière modeste mais significative au fil du temps (β = 0,06).
Les mots utilisés pour décrire les émotions avant et après les sessions illustrent bien cette évolution. Avant, les participants se disaient "fatigués", "apathiques", "stressés" ; après, les termes les plus fréquents devenaient "calme", "motivé", "fier", ou encore "plein d’espoir". Ces changements confirment l’effet bénéfique à court terme de l’intervention.
Pour en savoir plus :
- Guy Laban et al., A Robot-Led Intervention for Emotion Regulation: From Expression to Reappraisal, Arxiv, 2025