Quand l’IA se met au parfum

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De la reproduction numérique d’un fruit d’été à l’automatisation de la création olfactive, l’intelligence artificielle bouleverse les codes d’un secteur longtemps dominé par l’intuition humaine. C’est du moins le pari d’une start-up new-yorkaise, distinguée par le World Economic Forum.

Sur les quais de Manhattan, la start-up Osmo développe un système d’intelligence artificielle olfactive dont l’ambition est de transformer en profondeur la création de parfums. Son principe : numériser des odeurs — comme celle d’une prune d’été — puis les reconstituer sous forme liquide à partir de modèles d’apprentissage automatique. Le résultat peut être expédié en deux jours, là où le développement d’une fragrance traditionnelle demande souvent plus de six mois.

La méthode repose sur des outils de spectrométrie qui décomposent les odeurs en signaux chimiques exploitables par des algorithmes. Une fois le profil olfactif modélisé, la machine génère une formule que le laboratoire transforme en échantillon. Le procédé est conçu pour réduire drastiquement les délais et les coûts de création, tout en s’appuyant sur une bibliothèque de matières premières, à la fois naturelles et synthétiques.

Vers une standardisation du geste créatif

Distinguée cet été par le World Economic Forum, Osmo n’est pas isolée. De grands groupes de parfumerie — DSM-Firmenich, Givaudan, Symrise, IFF — ont déjà intégré des outils d’IA dans leurs processus de formulation. Carto, chez Givaudan, propose par exemple des « cartes d’odeurs » pour aider les parfumeurs à combiner des milliers d’ingrédients. Ces technologies assistent les créateurs en prenant en charge des tâches complexes comme la conformité réglementaire ou la stabilité des formules.

Pour les jeunes générations de parfumeurs, l’IA est devenue un outil courant, parfois utilisé dès les premières phases d’un projet. Certains y voient une forme de démocratisation du métier, autrefois réservé à une élite d’experts dotés d’un long apprentissage et d’un accès privilégié aux matières premières.

Une promesse d’accès… mais à quel prix ?

Le fondateur d’Alex Wiltschko d’autres utilisations potentielles, de la détection de maladies à la lutte contre les moustiques. L’automatisation de la création olfactive suscite néanmoins des critiques. Certains professionnels regrettent la disparition progressive du travail manuel et de la connaissance intime des matières. D’autres s’inquiètent du manque de transparence sur les modèles utilisés par les entreprises comme Osmo, qui refuse de divulguer ses jeux de données ou les sources d’inspiration de ses formules.

La multiplication des lancements illustre cette tendance : près de 3 000 nouveaux parfums ont été commercialisés en 2023, contre moins de 400 en 1995. Osmo vise une expansion encore plus rapide, avec l’objectif de rendre accessibles des millions de fragrances uniques. Mais cette course à la quantité soulève aussi des questions environnementales, d’autant plus que l’entreprise ne publie aucun indicateur sur la consommation énergétique de ses systèmes.

Un tournant pour l’industrie et ses valeurs

Au-delà de la performance technique, le débat porte sur l’identité même du parfum. Peut-on parler de création quand une formule naît d’un algorithme ? Le parfum, disent certains professionnels, est aussi affaire de lenteur, de choix subjectifs, d’essais et d’erreurs — un processus que l’IA, par nature, tend à rationaliser.

Dans certaines boutiques indépendantes comme Stele, à New York, cette tension est palpable. Le recours à l’IA n’est pas rejeté, mais les fondateurs appellent à plus de transparence. Ils défendent l’idée que l’émotion attachée à un parfum vient autant de sa composition que de l’histoire de sa fabrication. Pour eux, le risque est que le lien entre le produit et la main humaine qui l’a conçu devienne invisible.

Entre prouesse technique et perte de repères

L’intelligence artificielle ne se contente plus d’assister les parfumeurs : elle peut désormais générer des formules de bout en bout, parfois sans intervention humaine notable. Certains y voient une opportunité de réinventer les usages, d’autres une menace pour l’authenticité et la diversité des créations. L’industrie entre dans une phase de mutation rapide, où l’équilibre entre savoir-faire artisanal et performance technologique reste à définir.

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