D’ici à 2030, 15 devises numériques ouvertes au public seront mises en circulation, ainsi que 9 monnaies interbancaires, dites de “gros” (ou wCBDC, pour wholesale central bank digital currency, par opposition aux monnaies “de détail”, rCBDC). Cette estimation mi-2023 de la BRI, la banque centrale des banques centrales, semble prudente. Depuis, le nombre de pays qui expérimentent ou étudient une monnaie numérique s’est encore accru.
Alors que l’on s’attarde généralement sur la dimension géostratégique ou fiscale de la monnaie numérique, un rapport de l’Atlantic Council vient de mettre le doigt sur un point douloureux : rien ne garantit l’interopérabilité des systèmes que choisiront les banques centrales. Si les États continuent d’avancer en ordre dispersé, le risque est grand qu’au lieu d’éliminer les frictions dans les échanges internationaux, les monnaies numériques n’en créent de nouvelles.
Norme ISO
Le rapport, intitulé Standards and Interoperability: The Future of the Global Financial System, passe en revue les nombreuses initiatives en la matière. La plus active est certainement la BRI, qui a lancé 15 projets expérimentaux avec diverses banques centrales, comme mBridge avec Hong Kong et la Chine (lire Qant du 27 mars et du 31 janvier), ou Mariana avec la banque de France et les banques centrales de Suisse et de Singapour, sur les échanges transfrontaliers et la finance décentralisée.
La BRI publie régulièrement un rapport sur l’avancement des initiatives de chaque pays mais, l’an dernier, le Fonds monétaire international (FMI) lui a volé la vedette, avec quatre rapports à destination des gouvernements, dont un papier de synthèse avec le Conseil de stabilité financière (FSB), sur les crypto-actifs. Tous les grands organismes financiers internationaux ont proposé leurs réflexions : le Groupe d'action financière (Financial Action Task Force), l’Organisation internationale des régulateurs de marchés (Iosco), le Comité de Bâle sur la supervision bancaire (BCBS, le Comité sur les paiements et les infrastructures de marché (CPMI)... Même l’Organisation internationale de normalisation (ISO) a proposé une approche-cadre, ISO/TS 23526:2023, pour réduire les vulnérabilités des systèmes de monnaie numérique.
Réseau Swift
Afin d’éviter l’apparition d'îlots monétaires numériques séparés, le réseau mondial de messagerie bancaire Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) a lancé un projet d’interconnexion des paiements. En mars, la société a mené la deuxième phase de ses essais avec 38 institutions, dont la banque de France, pour explorer l'interopérabilité des monnaies numériques à travers différentes juridictions (lire Qant du 27 mars). Des essais qui ont couvert quatre cas d'utilisation : les paiements commerciaux, le paiement contre règlement en devises étrangères, le règlement-livraison pour les titres et les mécanismes de liquidité. Pour les échanges internationaux, Swift s’inspire du système en vigueur depuis 2002, CLS.
Schéma de l’adaptation du système de paiement CLS (Continuous Linked Settlement System) • Source : Swift
Expérimentation et normalisation
Swift prévoit de lancer une plateforme d’ici un à deux ans. Cependant, l’Atlantic Council considère que des efforts privés comme le sien (ou celui de l’IETF sur le Secure Asset Transfer Protocol, SATP) doivent, pour réussir, intégrer les organismes internationaux de normalisation financière qui ont montré leur intérêt pour le sujet : FSB, BCBS, CPMI, ISO, FATF… Le think tank appelle même de ses vœux l’intégration d’organisations de la société civile, dans un processus global de consultation.
L’Atlantic Council met en avant 5 thématiques centrales. En matière de gouvernance, tout d’abord, le cadre global doit créer des mécanismes qui contrastent les effets potentiellement déstabilisants des CBDC. C’est là le point central, qui influencera les stress-tests des banques et les directives de préservation de la stabilité économique.
En outre, la préservation d’un marché concurrentiel implique de disposer de standards internationaux sur les API des banques centrales, qui assureront l’efficience globale de l’écosystème des CBDC.
Données et soutenabilité
Or, en l’absence d’un improbable régime mondial, les échanges internationaux de monnaies numériques soulèveront d’épineux problèmes de protection des données. Les normes sont souvent contradictoires entre des juridictions différentes, mais les institutions financières se trouvent soumises à des impératifs de sécurité au-delà des frontières nationales.
Les standards techniques qui découleront de ces deux contraintes devront, de plus, assurer l’interopérabilité des systèmes de paiement présents et futurs, entre monnaies numériques, mais aussi avec d’autres moyens de paiement. Sans oublier, comme on l’a fait jusqu’à présent, d’intégrer les préoccupations l’environnement et la soutenabilité à la règlementation sur les monnaies numériques.
Autrement dit, l’intégration des CBDC dans le système financier international est encore à imaginer.
Pour en savoir plus :
- Atlantic Council
- Swift
- Anneke Kosse, Ilaria Mattei, Making headway – Results of the 2022 BIS survey on central bank digital currencies and crypto, Banque des Règlements Internationaux, 2023
- IMF’s Central Bank Digital Currency (CBDC) Virtual Handbook, 2023
- IMF Approach to Central Bank Digital Currency Capacity Development, 2023
- ISO/TS 23526:2023, International Organization for Standardization
- Ledger Insights