Gilles Lepoutre est depuis 1999 à la tête de Fora, qu'il a intégré en 1986. Il est également conférencier sur le commerce omnicanal et ses conséquences sur le rôle des équipes et des managers en points de vente.
Qant. Quels sont pour vous les grands enjeux de l’IA dans le secteur de la formation et de l’éducation ?
Gilles Lepoutre. Ils sont multiples : des enjeux pédagogiques, d’organisation, de productivité, et financiers. Pédagogiques, d’abord : l’IA va continuer à transformer les méthodes pédagogiques et de développement des compétences. D’organisation et de productivité, ensuite : nous avons aujourd’hui des outils qui nous permettent de travailler beaucoup plus vite et plus efficacement. Financier, enfin : l’IA va changer de façon progressive nos sources de profit.
Nous développons chez Fora une plateforme e-learning dans laquelle nous allons intégrer dès septembre deux outils très innovants d’intelligence artificielle. Un outil qui va permettre de transformer n’importe quel contenu en module e-learning, avec des exercices, des interactions, des quiz. L’autre est un RAG (Retrieval Augmented Generation) pour nos collaborateurs et pour nos clients sur notre plateforme e-learning.
Qant. En quoi vont consister en détail ces deux solutions ?
Gilles Lepoutre. Le premier outil d’intelligence artificielle permettra d’automatiser avec des interfaces beaucoup plus simples la traduction d’un contenu quel qu’il soit en module interactif.
Concernant le RAG, nous avons fait le constat qu’une plateforme e-learning a pour vocation de mettre à disposition des individus des modules ou des parcours de e-learning. En temps normal, une séance d’e-learning demande un temps précis où l’individu doit être concentré. Nous travaillons beaucoup avec des réseaux de points de vente, de retails. Dans ces derniers, un individu n’a pas forcément ni le temps ni l’environnement propice à une telle formation. Nous avons donc décidé de lui apporter également la possibilité d’obtenir des réponses opérationnelles immédiates à un besoin immédiat, grâce au RAG.
Qant. Comment pourront-ils l’utiliser ?
Gilles Lepoutre. L’entreprise paye un abonnement à notre plateforme e-learning, dans lequel elle va pouvoir bénéficier de ces deux solutions : réaliser des modules e-learning et disposer du RAG. Il pourra y créer des comptes pour ses clients ou ses utilisateurs, aura toutes les statistiques d’utilisation pour un suivi personnalisé.
Qant. Quelle part joue de manière générale le digital dans l’activité de Fora Formation ?
Gilles Lepoutre. Le digital au sens large constitue 50% de notre chiffre d’affaires. Cela comprend la plateforme e-learning, les applications ludiques d’entretien des compétences et d’animation de réseaux de points de vente que nous avons développées, notre équipe de production de modules e-learning sur mesure pour nos clients, et enfin les reventes de licences Storyline et Rise (deux solutions de l’entreprise new-yorkaise Articulate, leader sur le marché du e-learning).
Nous sommes convaincus que le déploiement de nos deux nouvelles solutions d’IA va générer une réelle croissance de notre chiffre d’affaires.
De manière générale, le secteur de la formation est loin de l’image qu’on s’en fait. Aujourd’hui, lorsque l’on veut développer les compétences d’un individu, cela passe par l’acquisition de connaissances, les « hard skills » qui peut être assurée par le digital. Viens ensuite la partie comportementale, ou « soft skills ». Nous avons pour cela une équipe composée de ce qu’on pourrait qualifier de « formateurs », mais qui sont tout autant entraineurs, coachs ou mentors. C’est toute la partie humaine du développement des compétences. Voilà en quoi consiste le reste de nos activités.
Qant. Revenons sur l’histoire de Fora. Avec quelle philosophie a démarré cette aventure ?
Gilles Lepoutre. Fora est une start-up créée en… 1981, Fora signifiant « Formation Action », pour prouver que la formation, ce n’est pas un professeur qui fait un cours magistral. Ce n’est pas comme cela que nous souhaitons former les gens : il faut que cela soit opérationnel, et très concret ! Nous sommes dans une culture de l’innovation en permanence. A l’époque, nous avons créé Fora pour bousculer un secteur de la formation qui ne nous semblait pas adapté : il n’est pas pertinent d’enfermer un manager du secteur commercial dans une salle pendant toute une journée. Nous avons donc mis en place des pédagogies participatives innovantes. Petit à petit se sont greffées des solutions audiovisuelles puis digitales : la vidéo d’abord, le CD-Rom, puis le e-learning et les applis, aujourd’hui l’IA. Le processus de progrès est mené de façon continue et empirique.
Qant. De ce point de vue-là, l’IA représente-t-elle une évolution dans l’acquisition de connaissances ou bien une véritable rupture ?
Gilles Lepoutre.: Il y a pour moi une véritable rupture, que j’observe en étant moi-même utilisateur de l’intelligence artificielle pour acquérir des connaissances. Si on est prudent et qu’on sait utiliser l’IA, on a accès à des connaissances infinies et précises dans un temps record.
Une autre rupture dans la formation est aussi l’exemple de la pédagogie inversée. Dans la pédagogie académique, un « sachant » déroule son cours face à un public. Dans la pédagogie inversée, on demande au collaborateur ou à l’étudiant d’effectuer des recherches, en s’aidant s’il le souhaite de l’intelligence artificielle, puis de présenter le résultat de ses recherches. A ce moment-là seulement, le professeur va pouvoir en débattre avec les étudiants, indiquer ce qui est juste ou non dans ce que l’étudiant a trouvé. L’étape future pourrait être de demander à l’intelligence artificielle d’évaluer ce que l’étudiant a préparé.
Qant. Cette dynamique de renversement de la technologie que l’on observe dans la formation semble aller au-delà de la technologie ?
Gilles Lepoutre. Oui, il y a une dynamique globale. Dans la réalité des faits, le point bloquant sont souvent les professeurs, qui défendent leur savoir. On demande aujourd’hui au professeur, au formateur, de changer complètement sa posture en adoptant celle d’un coach, d’un mentor, qui « challenge » son élève. Je pense qu’avec l’intelligence artificielle, ils n’auront plus le choix que d’effectuer ce changement.
Qant. Comment contrôler l’acquisition des connaissances et des compétences dans ce monde inversé ?
Gilles Lepoutre. L’intelligence artificielle peut aider à valider l’acquisition des connaissances. Concernant les compétences, cela se valide sur le terrain. Sur les soft skills, l’humain intervient obligatoirement.
Qant. Comment travailler au quotidien avec l’IA ?
Gilles Lepoutre. Il y a pour moi deux manières de travailler avec l’IA générative. La première, est de travailler sans intelligence artificielle, puis de demander à son assistant IA ce qu’il pense du résultat. L’IA joue le rôle du bonus. Il convient cependant d’être très vigilant quant aux « hallucinations » de l’IA, à ses erreurs. Ou alors il existe une option inverse : demander une réponse à l’intelligence artificielle, puis lui apposer une touche personnelle. Dans les deux cas, il y a toujours de l’humain.
Qant. Avec votre plateforme d’e-learning i-fora, vous donnez un coup de pied dans la fourmilière. Quelle est la philosophie qui vous motive ?
Gilles Lepoutre. Nos clients sont, au sens large du terme, les réseaux de points de vente, en distinguant BtoC et BtoB. Le BtoC, ce sont toutes les chaînes de magasin, des hypermarchés aux plus petites boutiques, en passant par la restauration, les loisirs, la culture… : toutes celles qui accueillent des clients ou visiteurs particuliers venus acheter un produit, une prestation de services, vivre une expérience. Nous travaillons également avec des clients BtoB, par exemple dans le secteur du bâtiment ou de la location de matériel. Nous accompagnons le développement stratégique de nos clients qui nécessitent une évolution des compétences.
Fora a une empreinte régionale dans le Nord mais nos clients sont présents un peu partout en France et à l’international. Notre identité est d’être une entreprise familiale, qui a des valeurs d’innovation et RSE, en restant attachée autant que possible au bien-être de ses collaborateurs. L’idée est que cette entreprise reste familiale, et que nous soyons toujours reconnus sur notre marché comme des précurseurs, des « early users » qui impliquent et prennent soin de leurs clients. Notre ADN est de réaliser une croissance organique basée sur l’innovation continue.
Propos recueillis par Maurice de Rambuteau, avec Jean Rognetta