Par Pierre du Rostu (Axa)
Depuis un an et demi, les assureurs se retirent des zones à haut risque à un rythme alarmant. Ce phénomène n'a jamais été aussi évident qu'en Californie, où les incendies de forêt sont devenus plus fréquents et plus intenses – les feux de Los Angeles en janvier n’ont été que les derniers d'une série dévastatrice. Il n'y a pas que les feux de forêt : le Golden State est également sujet à des inondations importantes et dommageables.
Il s'agit d'un défi extrêmement complexe et difficile à relever pour les compagnies d'assurance. Au cours des derniers mois, un certain nombre de grands assureurs ont suspendu les nouvelles polices d'assurance habitation en Californie.
Une crise globale du modèle assurantiel
Le problème ne se limite pas à quelques endroits malchanceux. Le monde entier est confronté à une combinaison de phénomènes : changement climatique accéléré, instabilité économique, troubles politiques, cybercriminalité et chocs dans la chaîne d'approvisionnement. Ces menaces interconnectées font que les catastrophes naturelles deviennent à la fois plus fréquentes et plus coûteuses. Les assureurs s'efforcent de maintenir une couverture à leurs clients, alors que les méthodes traditionnelles d'évaluation et de tarification des risques s'effondrent et que le « déficit de protection » – la différence entre les pertes assurées et non assurées – se creuse. Bien qu'il n'y ait pas de réponse facile, les assureurs doivent évoluer sous peine de devenir obsolètes.
Selon la Banque européenne d'investissement (BEI), chaque euro consacré à la prévention permet d'économiser 5 à 7 en frais de récupération. Il s'agit là d'un argument économique de poids pour que les assureurs modifient leur approche. En devenant des gestionnaires de risques actifs, plutôt que des payeurs passifs de sinistres, les assureurs contribueraient grandement à combler le déficit de protection.
Des technologies déjà disponibles
Les outils pour y parvenir existent déjà. La technologie géospatiale est sans doute la plus puissante, puisqu'elle permet de suivre les risques en temps réel grâce à des outils alimentés par l'intelligence artificielle pour analyser des données issues d'images satellites et de drones. Au lieu de s'appuyer sur des modèles dépassés, souvent basés sur des données historiques vieilles de plusieurs dizaines d'années, les assureurs peuvent utiliser cette technologie pour déterminer avec précision les propriétés, les entreprises ou les actifs particulièrement vulnérables aux catastrophes naturelles.
Grâce à cette connaissance, les assureurs et les assurés peuvent agir avant qu'une catastrophe ne se produise. On pourrait penser qu'il n'y a pas grand-chose à faire pour une maison qui se trouve sur le chemin d'un incendie de forêt. Mais ce n'est pas tout à fait vrai. Le Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophes a montré que le débroussaillage de la végétation sèche autour des habitations réduit le risque de dommages causés par les incendies de forêt. Si les assureurs utilisent des données géospatiales pour identifier les zones à risque, eux et leurs clients peuvent prendre des mesures simples – débroussailler, construire avec des matériaux résistants au feu, voire déployer des équipes privées de lutte contre les incendies une fois que le feu a pris – qui pourraient permettre d'économiser des milliards de dollars de pertes.
De la prévention à la résilience
Le même principe s'applique aux inondations. Contrairement aux ouragans, qui touchent des régions entières, les inondations peuvent dévaster une rue, mais pas la suivante. Grâce à des données en temps réel, les assureurs peuvent suivre les trajectoires des inondations et aider les gens à protéger leur maison avant que l'eau n'arrive.
Le coût constitue un obstacle important à l'assurance basée sur la prévention. Ses détracteurs affirment que la technologie est trop chère et son infrastructure de données trop complexe pour être intégrée dans les systèmes d'assurance. Ils n'ont pas tout à fait tort : un tel changement nécessitera des investissements importants. Mais le coût de l'inaction est encore plus élevé. Si les assureurs abandonnent les zones à haut risque, le déficit de protection se transformera en un gouffre béant. Les entreprises locales pourraient se trouver dans l'impossibilité d'obtenir un financement. Des régions entières pourraient souffrir économiquement. Les gouvernements pourraient être contraints d'intervenir en mettant en place des régimes d'assurance publique, ce qui détournerait des ressources d'autres priorités.
Vers un nouveau rôle pour les assureurs
Les assureurs qui adoptent la prévention bénéficieront toutefois d'un avantage certain qui va au-delà des économies prévues par la BEI. Ils seront en mesure de proposer des primes moins élevées aux clients qui mettent en œuvre des mesures d'atténuation des risques, de réduire le coût de leurs propres sinistres et de contribuer à la création d'un monde plus résilient. Après tout, l'assurance ne sert pas uniquement à indemniser les pertes (aussi important que cela puisse être), mais à protéger les vies humaines et les moyens de subsistance. En adoptant une approche de gestion des risques basée sur la technologie géospatiale, les assureurs remplissent leur mission.
L'escalade rapide de la crise climatique a déjà bouleversé le secteur de l'assurance. Se retirer simplement du risque n'est pas une option viable à long terme – les assureurs se condamneraient à l'insignifiance. Ils doivent au contraire s'adapter à la nouvelle donne en adoptant l'état d'esprit nécessaire pour créer un secteur avant-gardiste et technologiquement sophistiqué, capable de jouer un rôle crucial dans la construction d'un monde plus sûr et plus stable.
Pour en savoir plus :
Pierre du Rostu est directeur général de la plateforme commerciale numérique d'AXA.
Ce texte a initialement été publié le 3 avril sur Project Syndicate.
Qant est membre de Project Syndicate.